jeudi 3 novembre 2016

Jean-Clément MARTIN, Robespierre, la fabrication d’un monstre, une recension de Jean-Philippe Coullomb

Jean-Clément MARTIN, Robespierre, la fabrication d’un monstre, Perrin, Paris 2016, 367 pages.


Après ses synthèses difficilement lisibles sur la Révolution, on avait quelque raison de craindre le pire en voyant un ouvrage signé par Jean-Clément Martin sur un de ses grands acteurs. Disons-le tout de go, on avait tort. L’auteur a retrouvé la méthode qui avait fait son succès dans l’étude de la révolte vendéenne : il est parti du présent pour déconstruire un mythe et montrer la part de contingence qui existe dans un destin resté célèbre pour de mauvaises raisons. C’est ce qu’indique le sous-titre de son ouvrage même si le choix de rédaction a ensuite été celui d’une biographie classique.
L’auteur a le mérite de nous éviter un de ces portraits psychologiques mal assurés dans lequel on voit surtout le reflet des angoisses de notre temps et nous découvrons le parcours d’un jeune bourgeois à talent d’Arras, guère différent de celui de beaucoup d’autres en France à la même époque. Capable d’ironie, sa notoriété locale lui vient surtout de la qualité littéraire de ses plaidoiries. Il profite du doublement du Tiers pour se faire élire aux états généraux au printemps 1789. S’il participe aux événements de l’été 1789, il reste à l’écart des différents comités qui par exemple proposent un redécoupage du pays, mais il commence vraiment à faire parler de lui à l’automne à propos des débats sur la future constitution. D’évidence peu sensible à la question de l’égalité politique pour les femmes comme à celle de l’esclavage, il se drape dans une posture faite de discours comme le montre bien sa formule préférée « Il faut établir le principe que », tout en dénonçant le pouvoir exécutif et de multiples complots depuis sa position de président des jacobins. Hostile au maintien du roi après la fuite de Varennes, il fait cependant allégeance à la nouvelle constitution.
Ses positions sont par la suite fluctuantes et pas toujours évidentes à suivre, car la tactique politique impose ses règles. Pour la guerre en novembre 1791, il s’affirme contre un mois plus tard. Refusant de se dire républicain car les Brissotins le font, il demande la déchéance du roi en juillet 1792. Contre la peine de mort pour les membres de la Nation saine, il justifie les massacres de septembre et il compte des amis parmi les gens impliqués dans ce carnage. Elu à la Convention par les Parisiens sur lesquels il a incontestablement de l’influence, il appelle fin mai 1793 à l’extermination de tous les ennemis du peuple. Après l’élimination des Girondins, il entre au Comité de Salut Public en juillet 1793 tout en s’alliant tactiquement avec les hébertistes et la Commune de Paris.
Il utilise dès lors son pouvoir, qui n’est jamais total, pour tenter d’arriver à une situation d’équilibre. Il se retourne donc contre les hébertistes et rejette la déchristianisation complète voulue alors par Fouché par exemple, avant de cibler Danton et les « Indulgents ». Pour mieux contrôler la situation, il renforce la centralisation et laisse Carnot réorganiser l’armée même s’il s’en méfie. Se faisant, il multiplie ses ennemis sur tous les bords et il a la maladresse de beaucoup menacer en employant des formules comme « les hommes coupables craignent toujours de voir tomber leurs semblables ». Les conventionnels choisissent alors de se débarrasser de lui.
Ce faisant, les thermidoriens créent le personnage du monstre sanguinaire pour mieux s’en démarquer par une politique différente. C’est à ce moment-là, le 18 thermidor, donc a posteriori, que la loi entérine la formule « la Terreur est à l’ordre du jour » pour sa période de gouvernement. Robespierre quitte le monde des humains pour entrer dans celui des héros d’un romantisme noir et devenir l’archétype du chef révolutionnaire, qu’on l’adule ou qu’on le déteste.
Cet ouvrage est donc un bel ouvrage, qui donne à voir un homme en son temps et qui nous fait réfléchir sur les découpages et les étiquetages de cette historiographie classique qui constitue toujours notre base de réflexion intellectuelle et pédagogique. Une franche réussite, donc.

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